Таежный бродяга

by Mikhail Demin

18 июля 1926 года в Финляндии родился Георгий Трифонов, больше известный как Михаил Дёмин. Профессиональный уголовник, вор, убийца и блатной по кличке Чума, он отмотал пару-тройку сроков, выпустил несколько поэтических книг, а потом, выехав к родственникам в Париж, стал невозвращенцем. Широко известна его автобиографическая трилогия «Блатной», «Таежный бродяга», и «Рыжий дьявол».

340 pages, Hardcover

First published January 1, 1978

Reviews

[P.E. · Rating 4 out of 5]

Déboussolé

Les circonstances qui ont conduit votre serviteur à mettre la main sur ce drôle de livre feraient sûrement la trame d'une nouvelle à elles seules !

Porté par mes pas vers la bouquinerie nazairienne Les idées larges, chez qui je me suis procuré des butins épatants à deux reprises déjà [under the volcano; taine; tristes tropiques; le goût des orties, entre autres...], je m'oriente vers l'arrière-salle, où se trouvent les falaises de livres sur les sciences humaines en particulier, à la recherche de textes sur :

1) La révolution française,
2) La conquête russe de la Sibérie,

lorsque, avec dépit, je remarque que le passage est barré par un escabeau incliné... Je me porte donc auprès du maître de céans, qui m'explique que les rayonnages sont en réorganisation en ce moment et se propose de chercher les références qui pourraient cadrer. D'abord, la pioche est apparemment maigre : un ouvrage de synthèse de François Furet. Mais Ludovic a l'œil vif et la main heureuse : voilà bientôt cinq ouvrages qui portent sur la question, dont je retiens deux cycles :

- Ermites dans la Taïga, nouvelles d'Agafia
De Vassili Peskov, sur la vie d'une famille de Vieux-Croyants, qui a vécu isolée quelque 40 ans dans la chaîne de l'Abakan, en république de Khakassie, non loin de la frontière mongole.




- Vagabond de la taïga, Le diable roux
De Mikhail Diomine, alias Georgii Trifonov. Ce sont les 2 derniers tome d'une trilogie autobiographique sur ses tribulations en Sibérie, d'abord en tant que prisonnier de droit commun, puis en tant que vagabond, passant d'un métier à un autre à mesure qu'il évolue dans le pays. Il émaille son texte de résumés synthétiques de l'histoire russe, des civilisations auxquelles le pays s'est frotté lors de son expansion, et qui composent la mosaïque russe et soviétique, des différentes faunes qui habitent les régions, criminels en fuite, schismatiques, volontaires, intellectuels de province,...

Bref : je me rends compte que j'aurais difficilement pu tomber sur des livres mieux à même d'étancher ma soif, et de la raviver par la même occasion. Incroyable.




Ensuite, ce livre est un exemplaire imprimé dans le Cher, vers 1970 si je me souviens bien... Sa graphie, son papier, le relief laissé dans la page par les caractères imprimés à l'ancienne... Tout contribue à en faire une sorte de paysage ancien, un peu rêche et parcouru de légères crevasses... Une taïga à part entière, quoi !


Je trouve donc que les hasards de l'errance de Diomine, de ses rencontres, de ses petits boulots recoupent bien les hasards de l'année 2020 et de ce début 2021, hasards de la vie aussi bien que hasards livresques :)

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1. Le récit :

Ce livre, second tome d'une trilogie sibérienne, offre le récit de vie de l'auteur, ancien prisonnier de droit commun à Krasnoïarsk, qui, en 1952, rompt avec le milieu criminel (les blatnye) pour devenir poète, il en fait le serment à ses anciens camarades de misère, et à lui-même. Il ne retombera pas.
Le récit est ponctué de rencontre avec des personnages aussi pittoresques que vaguement menaçants, issus de cet univers de la pègre et de petits malfrats : le Nez, La Râpe, Goga, Reniffleur, le Fumé...

Comme Diomine, on balance entre inquiétude et sentiment de solidarité, liens fraternels nés de la prison et du goulag.

'Le chemin suivi par le misérable pécheur que j'étais, était fort sinueux, il débutait, en fait, en 1937, au plus fort de la Ejovchtchina. C'est à ce moment-là [...] que ma vie avait déraillé, ma famille s'était désagrégée [...]. Mon oncle, Valentin Andreïevitch Trifonov, vieux révolutionnaire et grand diplomate, était fusillé, sa femme [...] dirigée vers les camps de concentration de Karaganda, où elle passa dix ans.'

Ses six années de prison échues, Diomine/Tryfonov doit encore passer par trois ans d'exil en Khakassie. Mais rien ne se passe pas jamais comme prévu, et il prend bientôt le chemin de l'errance, à travers l'ensemble de la Sibérie.


2. Portraits de civilisation :

Ce récit de voyage peu conventionnel, ce road trip de l'étrange est l'occasion de quelques points de civilisation russe et soviétique :

La dékoulakisation, la terreur stalinienne...

L'histoire de la conquête sibérienne par les cosaques, particulièrement au 17e siècle.
À un moment, le narrateur/personnage principal participe même à une expédition archéologique à la recherche de traces de l'installation de pionniers cosaques dans la région de Krasnoïarsk ou de Irkoustk.

'L'histoire de la conquête des grands fleuves sibériens que sont l'Ob et l'Ienisseï revêt un caractère tout à fait particulier : d'abord parce que les colons se déplaçaient au long de ces fleuves, non pas d'amont en aval, comme l'avaient fait Ermak sur l'Irtych, ou Francisco de Orellana sur l'Amazone, mais dans l'autre sens, de l'embouchure vers la source. Ils avaient pour cela des raisons bien précises.

En effet, le mouvement de colonisation partait des régions côtières, principalement d'Arkhangelsk. Depuis le fond des âges, les Pomory de Novgorod se sentaient attirés vers l'orient, par la rencontre avec le soleil. Au début du 17e siècle, siècle que marquera l'entreprise d'un vaste mouvement de colonisation de toute la Sibérie centrale, ils avaient déjà pu explorer de fond en comble l'embouchure de l'Ob. On comprend donc que l'intérêt qu'ils portaient à cette région n'était pas le fruit d'un pur hasard.

C'est là aussi qu'on situait le célèbre Loukomorié, sur lequel, depuis toujours, couraient les légendes les plus extraordinaires... « Il est un lieu où les montagnes s'abiment dans la mer », ainsi commence l'un des dits de la Chronique des Premiers Temps, dit consacré au Loukomorié, à ses mystères, à ses prodiges.

Cette anse se situe dans la partie inférieure de l'Ob, à l'endroit où ses eaux jaunâtres se mêlent à celles, tumultueuses et écumantes, du fleuve Taz. C'est une région au relief montagneux, difficilement accessible, envahie par la taïga sauvage. Elle est essentiellement peuplée par les Evenques mais, si l'on en croit les chroniques, elle était autrefois habitée par la mystérieuse tribu Mongomzi.

'La Grande Voie Maritime du Nord longe les rivages polaires du continent asiate, de la mer Blanche au détroit de Béring, d'Arkhangelsk aux côtes d'Alaska. Baptisée ainsi depuis peu, elle est en fait connue depuis la nuit des temps ! Les Vikings [...] l'emprutaient autrefois, les Ouchkouïniks de Novgorod furent les premiers aventuriers slaves à s'y engager, il y a plus de mille ans, à l'aube de l'histoire russe.

Vers la fin du Moyen-Âge, les navires de la Hanse y croisaient, et, au début de la Renaissance, les barges cosaques, conduites par Choubine, Sannikov et Dejnev. Audacieux, volontaires et rudes, ces conquistadores du Nord étaient de grands rêveurs.


Liovka Choubine partit d'Arkhangelsk, à la recherche des fabuleux trésors Mongomzi. Il ne les trouva pas, mais, le premier, il explora l'Ob inférieur, et fonda la ville de Mangazéïa. Sannikov, un trafiquant de fourrures, longeait, sur sa lourde barque, les rivages de la Iakoutie, lorsqu'il lui sembla voir une terre inconnue se profiler à l'horizon. Abandonnant les affaires, avec obstination, il se mit à sa recherche.

Et, bien qu'elle eût mystérieusement disparu, et que personne n'eût jamais pu l'apercevoir, il ne renonça pas. Il fit de nombreux adeptes, et, de ce fait, favorisa beaucoup la conquête de ces régions. Sur son lit de mort, ses fils le supplièrent d'abjurer cette hérésie, de se repentir, de reconnaître son erreur... Mais il n'abjura pas, ne se repentit point. Et il mourut, leur léguant ce message : « Croyez et cherchez ! »

Et la célèbre Terre de Sannikov, que personne ne vit jamais, est restée dans l'histoire comme l'une des énigmes du Grand Nord, une énigme de l'âme humaine, aussi. A jamais, elle symbolise la foi dans le rêve, la recherche de son accomplissement.

Quelle force animait tous ces gens, les conduisaient dans les glaces, vers l'inconnu, et, souvent, à une mort certaine, sinon le rêve ? Le rêve fou des trésors fabuleux, des découvertes extraordinaires...


Ainsi, des générations entières rêvèrent-elles d'un « Passage Nord-Ouest » qui réunirait l'Océan glacial au Pacifique, qui permettrait de gagner rapidement le Sud, les Indes, les légendaires pays des épices. Au cours des siècles, constamment, les marins firent voile vers l'Orient, à la rencontre du soleil, et, si certains sont revenus, la plupart ont péri, disparus corps et biens. Dans tout l'hémisphère nord, il n'était autrefois de lieu plus funeste, plus meutrier que celui-ci ! Mille après mille, les naufrages jalonnent la Grande Voie, véritable cimetière de navires. Mais le cosaque sibérien Senka [Semyone] Dejnev la suivit pourtant jusqu'au bout. Cela se passait vers le milieu du 16e siècle. Bravant obstacles et périls, Dejnev parvint enfin à doubler le continent, à atteindre les rivages de l'Alaska : le fameux « Passage Nord-Ouest » était découvert, qui, par la suite, exploré une seconde fois, prendra le nom de « Détroit de Béring ».'

Le portrait de la Khakassie, refuge des sectes, front où sont envoyés les mauvais sujets, exilés et volontaires.

'Au centre de la carte, il y avait une grande tache jaune : la steppe. Et, de chaque côté, couvrant le reste du territoire, s'étendait le vert de la taïga, tout émaillé de montagnes, de rivières et de fleuves. L'axe fluvial le plus important de la Khakassia est Ineisseï, ce cours d'eau sinueux, tortueux, qui prend sa source sur les hauteurs des monts Saïan...'

'Ma foi, ce tableau m'avait plu, dans l'ensemble. C'était une région pittoresque, la Khakassia, et vaste ! A en juger d'après l'échelle figurant sur la carte, sa superficie dépassait celle de la Suisse. Au nord, elle était limitrophe de la région de Krasnoïarsk, au sud, elle faisait presque frontière commune avec la Mongolie; elle n'en était séparée que par l'étroite bande d'environ deux cents kilomètres, que forme la République de Touva.'

'La vallée était peuplée de Vieux-Croyants, du nom de "Kerjaks". C'était une secte déjà ancienne, née du temps du tsar Alexis Romanov, à l'époque du Raskol. S'étant séparés de l'Église Nikonienne réformée, les partisans de la vieille foi s'étaient installés sur la rivière Kerjéniets (de là leur nom de "Kerjaks"). Puis, pour fuir les persécutions, ils avaient poussé plus loin, franchi l'Oural, et s'étaient finalement sédentarisés en Sibérie, aux endroits les plus sauvages, les plus difficiles d'accès.'

'On trouvait, par exemple, dans la taïga, la secte des Skoptsi, eunuques aux voix de femmes et aux visages bouffis. Il se stérilisaient aux nom de Notre-Seigneur, pour sauver leur âme, et se purifier du péché originel. [Leur compagnie était essentiellement masculine] et la seule passion qui leur restât était l'appât du gain, de la thésaurisation. [...] Ils étaient célèbres par toute la taïga, comme les plus habiles des spéculateurs, les plus impitoyables des usuriers.

Il y avait aussi les Khlysty [secte dont Raspoutine aurait fait partie quelque temps]. Eux, c'était tout le contraire : la base de leur foi n'était pas la négation du sexe, mais son utilisation la plus active. Ils se réunissaient dans des lieux particuliers, secrets. Hommes et femmes s'y trouvaient à part égale. Leurs réunions commençaient par des prières, puis ils se mettaient à se martyriser, à se flageller, s'accusant devant Dieu, et fustigeant leur chair pécheresse.

On trouvait encore d'autres sectes en Khakassia ; des Piatdesiatniks, des Adventistes, des Molokanes. Mais les plus originales et les plus surprenantes furent, peut-être, pour moi, les communautés de confession judaïque [issues de paysans révoltés au début du 20e siècle].

Les déserteurs de la région de Krasnoïarsk.

'Je passai vingt-quatre heures chez les déserteurs, et j'eus le temps de connaître toute leur histoire. Ils avaient commencé à affluer dans la taïga en 1941, et, à la fin de la guerre, cette affluence avait atteint des proportions considérables. Parmi eux, il y avait peu de réels combattants. C'étaient, pour la majorité, de jeunes appelés, trappeurs, chasseurs, bûcherons [presque tous issus de familles dékoulakisées]

[...] Naturellement, ils n'avaient pas voulu se battre pour ce régime, et avaient préféré se cacher dans la taïga. Par la suite, à ce premier contingent, étaient venus s'ajouter des bagnards en fuite. Ainsi, peu à peu, sur l'Ob inférieur, était née une société nouvelle, clandestine, sans précédent. [...]

Coupés du monde, en effet, les fuyards vivaient en autarcie, et leurs mœurs rappelaient beaucoup celles des sociétés primitives. Ils se nourrissaient du produit de leur chasse et de leur pêche, qui suffisait à leurs besoins. Pour ce qui est de l'amour, le problème était plus complexe... Mais ils avaient fini par trouver, là aussi, une solution; ils avaient pris femme parmi les autochtones. Depuis longtemps, ils avaient établi, secrètement, des contacts solides avec les Evenques, et c'est par leur intermédiaire qu'ils se procuraient des munitions, ainsi que du sucre, du thé, du sel, de la farine et du tabac. Peu à peu, la communauté avait élaboré ses propres lois; son ordre social à elle, et même une religion particulière, alliant dogmes chrétiens et rites païens.'

Iakoutes, leur usage de la graisse de poisson et exogamie de fortune pour éviter l'inceste.

Un portrait en biais, assez acide, du monde de l'édition.


RÉFÉRENCES CROISÉES :

Récit de vie dans la taïga de Khakassie :
Ermites dans la Taïga

Parallèles entre le système carcéral et pénitentiaire soviétique et tsariste :
Souvenirs de la maison des morts

Un tableau de la pègre et de son monde équivoque, dont il est difficile de s'affranchir tout à fait une fois membre :
Berlin Alexanderplatz

Aperçus de l'économie de pêche aux alentours du détroit de Béring
Tribulations d'un précaire

Sur la vie de vagabond en Alaska et dans sa taïga :
Into the Wild

Et, forcément, le grand récit maritime entre tous, même si, contrairement au Vagabond de la taïga, il ne se passe dans l'Océan Arctique :
Moby-Dick or, the Whale